Chaque jour qui passe, un certain nombre de gens meurent et naissent un peu partout sur la planète. Un certain nombre d’entre eux baisent aussi dans cette même journée quand d'autres s'engueulent avec leurs maris. On en vient parfois à se dire que l'on mérite tout ce qu'il nous arrive, que Dieu, le destin - appelez ça comme vous le voulez - essaye désespérément de vous faire lâcher prise. Cette « chose » essaye de vous faire abandonner comme pour vous montrer que la vie n'est pas un long fleuve tranquille, comme pour vous rappeler que vous n'êtes qu'un être humain et que les épreuves se suivent et ne se ressemblent pas. Et puis chaque jour qui passe, certain finissent par se dire : « advienne que pourra ». Si tout ça arrive c'est pour une raison... Je n’en suis sans doute pas à ce point-là pour le moment, mais aujourd’hui j’aimerais être capable de ne rien regretter. Les regrets vous retiennent et vous étouffent. Un jour, peut-être, j’arriverais à aller de l’avant et à laisser ces regrets derrière moi. Un jour, peut-être, mais en cet instant, j’aurais simplement besoin de vide, de calme, de silence, de ne plus entendre la vieille harpie gueuler à plein poumon au premier étage. Cachée dans ma chambre de bonne je me contentais de regarder le ciel à travers ma petite fenêtre, une clope à la main j’attendais simplement un signe, quelque chose, pour pouvoir m’échapper de cette maison. J’avais passé la matinée entière à nettoyer la cuisine d’Alice, sans une pause, sans un mot. Après tout qu’aurais-je pu dire ? J’étais là pour faire la boniche, c’est ce que je faisais. Et puis LE signe arriva. Au milieu de ce silence et de mes gestes mécaniques, qui amenaient ma cigarette à ma bouche puis me faisait expirer la fumée, l’engin diabolique qu'on appelle téléphone portable se mit à vibrer juste en dessous de ma tête. Il fallait vraiment que les constructeurs arrêtent d'augmenter la puissance de ce vibreur parce qu'à ce niveau-là, tous les sex shop de la région allaient devoir mettre la clé sous la porte. Toutes les ados dépravées de 15 ans allaient utiliser leur portable. Mais bref. Je le sortais de son sac et regardait l’expéditeur du message. Majandra ! Ca y est, j’allais pouvoir respirer l’espace de quelques instants. Après lui avoir répondu par la positive, je sautais dans un jean et me dirigeais vers le café du centre.

Arrivée devant le café je rentrais directement et après quelques secondes je vis se dessiner la silhouette de Maja au fond du café, à côté de la baie vitré. Je me frayais un chemin entre les tables jusqu’à arriver à sa hauteur et m’assis, naturellement, à côté d’elle. « Salut belle blonde. On se connait non ? ». La serveuse s’approcha en trainant les pieds et je lui commandais une bière avec un grand sourire.

Quand on est jeune on croit naïvement que si on travaille bien à l’école, qu’on est sérieux et qu’on donne tout ce qu’on a, alors on pourra faire ce que l’on veut de notre vie. L’enfance, ce moment merveilleux où on a des rêves pleins la tête. Quand vous demandez à un enfant ce qu’il veut faire, il vous donne souvent des réponses extraordinaires, ils veulent faire astronautes, archéologues, j’en passe et des meilleurs. Mais combien y arrive vraiment ? Moi je voulais faire médecin quand j’étais petite, aujourd’hui je me retrouve au service d’Alice. On ne peut pas dire que ce soit un métier de rêve. Pour exemple, j’avais passé la matinée à timbrer ses foutues invitations de fiançailles parce que mademoiselle avait autre chose à faire : son rendez-vous hebdomadaire pour la manucure. Ben oui, rendez-vous au combien indispensable n’est-ce pas ? Quand je regardais cette fille je n’avais qu’une seule envie, lui cracher dessus. Elle avait toujours eut une petite vie parfaite, à la regarder on avait l’impression qu’elle avait grandi dans une bulle de plaisir et de confort. Mais c’était mon employeur et je n’avais malheureusement qu’un seul droit … Celui de la fermer et c’était très frustrant. Sans vouloir me démonter moi-même, j’ai clairement une grande gueule et être obligé de me taire et de m’écraser devant cette pimbêche était de plus en plus compliqué.

Assise dans les transports j’avais repensé à beaucoup de choses : à ma mère, resté dans ma ville natale et de qui je n’avais plus de nouvelles depuis mon arrivée, à mon père, resté disparu et qui – maintenant j’en étais certaine – ne reviendrais jamais, à toutes ces grandes fortunes que je voyais autour de moi et qui semblais avoir tout ce dont ils avaient besoin quand tant d’autres galérais. Je me revoyais petite, le regard de fierté que je pouvais lire dans les yeux de ma mère. Ce même regard m’avait porté pendant tant d’années à me dépasser pour la rendre fière, pour réussir ma vie, pour faire de mon mieux dans tout ce que j’entreprenais. Et puis un seul évènement à tout changé. Si elle me voyait maintenant que penserait-elle ? J’entrais dans le café et tentais de chasser tout ça de mon esprit. Après tout, j’aurais pu tomber plus mal, peut-être. « Putain de merde, Blue ! Tu m’as foutu la chienne ! » Je m’asseyais aux côté de Maja avec un rire échappé. Maja était comme ça, elle se foutait de dire des ignominies et de choqué les vieux aux alentours et j’adorais ça. Ce côté je m’en foutiste qui contrastait tellement avec les gens pour qui je travaillais la journée. « Je sais ! Je fais cet effet-là à tout le monde ! ». « Tu vas bien j’espère, moi j’ai un foutu mal de crâne, mais ça valait le coup, cette soirée de dingue que j’ai passé, ouf ! » . Bien, tout était relatif, mais tant que je me trouvais loin de ses gosses de riches pourris jusqu’à la moelle on pouvait considérer que ça allait mieux. D’après mon psychiatre ma dépression était sur la mauvais pente et, toujours d’après lui, c’était pour ça que j’étais aussi agressive et que j’insultais la moitié des gens qui osaient m’adresser la parole. Et alors ? Si je n’avais pas envie d’aller mieux ? Si je n’avais pas envie d’oublier mon meilleur ami ? « Ben si on considère que passer la matinée à coller des putains de timbres sur des putains d’enveloppe pour une putain de conne que je ne supporte pas est cool alors ouais, ca va ! Oh vas-y raconte ta soirée ! Je vie par procuration en ce moment. » .