Au dehors le temps prenait des airs d’apocalypse. Les lourdes gouttes de pluie s’abattaient sur les carreaux et sur notre désespoir. Un silence. De ces silences lourds qui figent le temps et vous paraissent interminable. Une sensation. Le vide. Plus aucune émotion ne traversait nos visages, pas même une once de tristesse. Dans notre déchirement silencieux plus rien ne semblait avoir d’importance. La maison, mon cœur, ses yeux, tout avait perdu sa chaleur, son humanité. Mes yeux ne voulaient plus rien voir que l’écran. Anesthésié, mon esprit se muait simplement en cet espoir fou de voir son cœur battre à nouveau. Le brouillard qui encombrait ma tête n’attendait plus qu’un signe de sa cage thoracique, un signe de vie, un mouvement. Le souffle coupé je savais pourtant que rien ne viendrai. Le flash info se terminait et je restais comme paralysée sans bouger. Les images de sa mort repassaient en boucle dans ma tête, recouverte d’un flou irréel. Il était mort et je n’avais pas pu lui dire au revoir, je ne pourrais plus jamais le serrer dans mes bras, le regarder sourire, l’appeler pour lui dire ce qui n’allait pas. C’était terminé. Ma mère me fixait, attendant une réaction qui ne vint jamais. Mon esprit c’était vidé en même temps que mon corps et mon cœur de toute sensation. J’avais l’impression de n’être plus qu’une coquille vide. En plus de l’absence de mon père j’allais devoir subir la sienne. « Tu veux en parler ? » me demanda ma mère. « Il n’y a rien à dire. Il est mort. Il a été tué. Voilà, tout est dit. » Mon ton m’étonna moi-même. De même que mon cœur, ma voix était vide. « Tu es sure ? » « Quand papa est parti l’année dernière tu ne voulais pas en parler ? Non ! Eh ben voilà, moi non plus ! ». Je me levais et marchais lentement vers ma chambre.
Assise sur mon lit je pris mon portable entre mes mains. Répertoire. Aliz. Sonnerie. Répondeur. Evidemment, j’aurais du m’en douter.

Les mois suivants je m’enfonçais dans un tourbillon de solitude. Je passais mon temps à appeler des téléphones qui ne répondait jamais, Aliz, ma meilleure amie partie à New-York, Yann, mon père disparu de la circulation depuis près d’un an, Johan, mon meilleur ami tué par une balle perdue au centre d’une embuscade. Je cherchais dans leur répondeur le soutien d’une voix que je n’entendrai jamais. Si j’avais pu trouver un sens à ma vie je n’aurais pas voulu mourir. Si mon meilleur ami n’avait pas perdu la vie je n’aurais pas voulu vivre. J’avais perdu le gout de vivre mais je m’y accrochais pour Johan. Douce ironie n’est-ce-pas ? De s’accrocher si fort à quelque chose qu’il avait perdu. Vidé de tout son sens ma vie était une continuité de moment sans importance. Ma mère décida pour moi qu’il était temps que je change d’air, que je m’en aille pour repartir du bon pied. Et moi voilà ici, maintenant.